Ces cépages oubliés qui réinventent le paysage viticole

20 mars 2025

Pourquoi certains cépages ont-ils été abandonnés ?

Pour comprendre le phénomène des cépages oubliés, il est essentiel de remonter le fil de leur disparition. Les raisons sont aussi variées que les terroirs eux-mêmes :

  • Le rendement avant tout : Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, les impératifs économiques ont poussé de nombreuses régions viticoles à privilégier des cépages productifs ou résistants. Des variétés moins rentables ont été mises de côté.
  • Le phylloxéra et les maladies : Cet insecte ravageur, venu des États-Unis, a décimé le vignoble européen dans les années 1860. Lors de la reconstitution des vignobles sur francs de pied greffés, beaucoup de cépages locaux ont été écartés, jugés inadaptés aux porte-greffes ou tout simplement oubliés dans la hâte de replanter.
  • Des modes et standardisations : Avec l’expansion de marchés internationaux à partir du milieu du XXe siècle, la demande s’est concentrée sur quelques variétés emblématiques : cabernet sauvignon, merlot, chardonnay... Un véritable écrasement de la diversité génétique au profit des « stars » mondiales.
  • Les réglementations AOC : L’avènement des appellations d’origine contrôlée, bien que bénéfique pour protéger l’identité des régions, a également restreint les cahiers des charges à un nombre réduit de cépages autorisés, excluant ceux considérés comme « secondaires ».

Un renouveau porté par des tendances actuelles

Mais voilà un retournement étonnant : depuis quelques décennies, ces variétés oubliées renaissent dans les mains de vignerons audacieux, soutenus par une nouvelle conscience collective. Pourquoi cette réhabilitation ?

La quête d’authenticité

Les consommateurs, lassés par une certaine uniformité aromatique, cherchent de nouvelles expériences. Ils veulent des vins qui racontent une histoire, des flacons uniques liés au terroir et à la tradition régionale. Les cépages anciens, souvent typiques de leur aire géographique, permettent de répondre à cette attente. Ils incarnent l’intimité d’un terroir, une identité qui s’oppose aux grands assemblages mondialisés.

Résilience face au changement climatique

Les défis climatiques jouent également un rôle crucial. Certains cépages anciens, résistants à la chaleur et nécessitant peu d’eau, s’avèrent être des réponses appropriées pour les régions où les vignes souffrent d’une augmentation des températures et de la sécheresse. Prenons l’exemple du picpoul noir dans le Languedoc : longtemps marginalisé, il montre aujourd’hui une résilience naturellement adaptée aux conditions méditerranéennes.

Un engagement pour la biodiversité

Redonner vie aux cépages oubliés, c’est aussi travailler à sauvegarder le patrimoine génétique viticole. On estime que, sur les 10 000 cépages identifiés dans le monde, environ 1 400 seulement sont encore utilisés pour la production de vin à échelle mondiale (source : Organisation Internationale de la Vigne et du Vin). Cette diversité est une ressource inestimable pour affronter les enjeux futurs de la vigne.

Quelques cépages oubliés qui font leur retour

Laissez-moi maintenant vous faire découvrir quelques-unes de ces merveilles retrouvées. Ces cépages, parfois imprononçables mais toujours envoûtants, offrent des profils absolument uniques :

  • Le romorantin : Originaire de la Loire, ce cépage blanc a presque disparu, éclipsé par le sauvignon blanc. Pourtant, on lui doit des vins blancs secs d’une superbe finesse lorsqu’il est cultivé sur les sols argilo-calcaires de Cour-Cheverny.
  • La négrette : Spécialité de Fronton, près de Toulouse, cette variété produit des rouges légers et fruités, avec des notes poivrées qui étonnent et séduisent. Elle a longtemps été négligée au profit de cépages plus puissants.
  • Le persan : Cépage rouge savoyard presque disparu après le phylloxéra, le persan est désormais replanté par des passionnés dans les Alpes. Élégant et épicé, il se distingue par une belle fraîcheur et sa capacité à exprimer le terroir.
  • La resseguier : Une ancienne variété languedocienne offrant des vins doux naturels uniques, mais qui nécessite des efforts considérables pour être relancée.

Les défis de la réhabilitation

Bien que ces cépages fascinants suscitent l’enthousiasme, relancer une variété oubliée reste un défi de taille :

  • Des surfaces limitées : Beaucoup de ces cépages ne sont cultivés que sur quelques hectares, limitant leur accessibilité commerciale.
  • La méconnaissance : Convaincre les professionnels et les amateurs de s’intéresser à ce qui est souvent décrit comme « marginal » demande pédagogie et passion.
  • Les coûts : Entre la recherche des porte-greffes, la replantation et les expérimentations viticoles, relancer une variété représente un investissement considérable.

Le futur des cépages oubliés : entre espoir et pragmatisme

Le retour des cépages oubliés est bien plus qu’une tendance : c’est un élan vers une viticulture plus diversifiée, plus locale, plus respectueuse des terroirs et de l’environnement. Redonner une chance à ces variétés, c’est réconcilier passé et présent, tout en construisant l’avenir.

Pourtant, ce renouveau restera probablement de niche. Tous les cépages ne pourront pas renaître, et certains resteront dans les mémoires ou les collections ampelographiques plutôt que dans nos verres. Mais cette sélection naturelle de la culture moderne de la vigne permet de faire émerger le meilleur, au bon moment.

Alors, la prochaine fois que vous explorez une cave ou une carte des vins, laissez-vous tenter par un vin issu d’un cépage que vous ne connaissez pas. Peut-être serez-vous surpris, enchanté, transporté… et participerez, vous aussi, à cet hommage vibrant aux cépages oubliés.

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