ECONOMIE-MARKETING VIN
.vin et .wine : la multiplication des extensions, opportunité ou danger ?
L’institutionnel du vin français et européen s’inquiète du bouleversement prévisible lié à l’arrivée des extensions .vin ou .wine qui constitue un risque dans la protection des marques de vins, voire un danger pour les appellations d’origine.
Pourquoi cette inquiétude ? Quel est le contexte ?
Depuis le mois d’avril 2013, ce sont en effet près de 2 000 extensions (ou domaines de premier niveau : Top Level Domain -TLD-), qui sont peu à peu mises en circulation. Cela va donc entraîner de nouveaux usages d’internet ; de nouvelles pratiques vont devoir s’installer.
Ainsi, à côté des extensions traditionnelles que chacun connait aujourd’hui : .com, .net, .org ou toute autre extension liée au pays (.be, .fr, .ca, .us, …) ce sont de toutes nouvelles extensions (nouveaux noms de domaines de premier niveau : TLD) qui vont être créés, par exemple :
– des extensions génériques telles que .app, .book, .store, .vin .wine, …
– des extensions pour les marques : .moetetchandon, .dior, .lalique, .malesan, …
– pour les cultures : .bzh, .occitanie, … ,
– pour les villes :.paris, .london, .bordeaux, .cahors, .banyuls, etc
C’est donc une fantastique opportunité pour les grandes entreprises avec de grandes marques pour leur présence sur internet.
Le domaine de premier niveau (Top Level Domain) est en effet un élément fondamental de l’URL qui est l’adresse qui permet d’accéder à une ressource sur Internet, car le fait de taper une URL dans le navigateur envoie une requête au serveur DNS (Domain Name System). C’est donc une porte d’entrée sur le Web, dans la mesure où le DNS (Domain Name System) gère la liaison entre le nom de domaine (par exemple les-mots-du-vin.info et son adresse IP (faite de chiffres).
L’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), organisme privé américain grand régulateur mondial des noms de domaine sur internet, avait annoncé la multiplication des extensions il y a un certain nombre de mois et les sociétés intéressées à candidater en vue de la vente de ces extensions ont déposé leur candidature il y a quelques mois déjà. C’est donc à une libéralisation, une multiplication des extensions à laquelle nous allons assister. C’est sans doute l’une des plus importantes évolutions de la structure d’internet depuis des années.
Pourquoi l’inquiétude de la CNAOC et de l’EFOW ?
La CNAOC (Confédération Nationale des AOC) et l’EFOW ( European Federation of Origin Wines) souhaitent que les gouvernements et la Commission européenne interviennent auprès de l’ICANN « pour exiger des garanties ». La CNAOC et l’EFOW, la Fédération européenne des vins d’origine, estiment en effet que les demandes liées au secteur du vin (.vin et .wine) constituent une « brèche » dans la protection des appellations d’origine.
Si ces deux organismes ont bien conscience que le développement du commerce sur Internet bénéficie à l’ensemble des secteurs économiques dont la filière vin, et que l’extension des noms de domaine de premier niveau générique devrait être une nouvelle opportunité pour le secteur du vin. Mais elle constitue dans le même temps un risque important, celui de laisser à n’importe qui l’utilisation les noms des appellations d’origine à son profit, débouchant sur un grand marché spéculatif sans régulation autour de la vente de ces noms de domaine.
Quatre dossiers liés au secteur du vin ont été déposés. Trois entreprises sont en concurrence pour gérer le « .wine » et une autre le « .vin ». Les sociétés qui seront sélectionnées par l’ICANN seront en mesure de commercialiser ces noms de domaine permettant ainsi à des individus et/ou à des organisations de les combiner à un nom de domaine de second niveau pour créer une adresse Web personnalisée telle que « alsace.wine », « champagne.vin », « barolo.wine », « port.wine » et bien d’autres.
Cependant, rien ne prévoit pour l’instant de protéger les Indications Géographiques (IG) vitivinicoles. Plus grave, les sociétés ont fait part de leur intention de vendre les noms de domaine de second niveau aux enchères. Ainsi demain une adresse comme « bordeaux.vin » pourrait être vendue à une société ou à un individu n’ayant aucun lien avec les vins de Bordeaux. Étant donné qu’aucune procédure d’objection n’a été développée pour protéger les IG, contrairement aux marques, la CNAOC et l’EFOW estiment que l’ICANN ne peut pas accepter en l’état ces dossiers et doit modifier les règles du jeu.
Lors d’une réunion récente à Pékin, le GAC (comité consultatif gouvernemental) de l’ICANN, dont sont membres les gouvernements et la Commission européenne, a émis des réserves sur ces 4 dossiers et a donné jusqu’au mois de juillet à ces quatre sociétés pour approfondir les discussions avec le secteur. Cette alerte est le fruit de la mobilisation de certains acteurs du secteur (CNAOC, CNIV, …) et de plusieurs gouvernements de pays producteurs mais aussi de la Commission européenne. Les dirigeants de l’ICANN qui ne sont pas satisfaits de cet avis viennent de décider d’ouvrir une période de commentaires publics pour tenter de contourner cet avis.
C’est la raison pour laquelle la CNAOC et l’EFOW ont décidé de porter ce débat sur la place publique et d’interpeler tant l’opinion publique et les consommateurs sur des abus futurs possibles que les professionnels sur le racket dont ils pourraient faire l’objet avec le rachat à des prix prohibitifs de noms de domaine.
Le point de vue des présidents de la CNAOC et de l’EFOW : «Internet est aujourd’hui un outil incontournable d’information et de développement du commerce. La non régulation des noms de domaine par l’ICANN risque d’accroître les usurpations et les contrefaçons de nos appellations. Il est donc fondamental de définir des règles précises qui protègent non seulement nos droits de propriété intellectuelle mais aussi les consommateurs contre les tromperies sur le Web. Nous ne sommes pas contre le développement de nouveaux noms de domaine mais nous estimons qu’il faut mettre en place des règles de concurrence loyale».
La CNAOC et l’EFOW espèrent désormais que d’autres acteurs du secteur vont se mobiliser à ses côtés et que les gouvernements notamment des pays producteurs de vins vont redoubler d’efforts pour faire entendre raison à l’ICANN et l’obliger à prévoir des procédures de protection des indications géographiques.